Deux études viennent d’être publiées en trois mois sur l’état de l’enseignement à Bruxelles. L’une réalisée par Donat Carlier pour ALTER-EDUC, l’autre par un collectif emmené par Andrea Rea. Elles apportent un éclairage complémentaire et non contradictoire par rapport aux études menées en Communauté française sur le thème de l’enseignement.

Les constats et les indicateurs sont cinglants pour la Région bruxelloise et appellent des réponses urgentes.

0. Population scolaire en Région bruxelloise

En 2005-2006, 229.170 élèves fréquentaient l’enseignement en Région bruxelloise selon la répartition suivante :

- 50 721 en maternelle :
38 936 dans l’enseignement francophone (FR)
11 068 dans l’enseignement néerlandophone (NL)
717 dans les écoles européennes (EU)

- 85 375 en primaire :
68 701 FR
13 552 NL
3 122 EU

- 93 074 en secondaire
75 217 FR
13 284 NL
4 573 EU

Près de 80% de la population scolaire bruxelloise fréquente donc un des enseignements de la Communauté Française. Cette population représente 21 % de tous les élèves de la Communauté française (863.471).
16,5 % de la population scolaire bruxelloise fréquente l’enseignement de la Communauté Flamande (dont 80% d’enfants francophones et d’origine étrangère).
3,7 % de la population scolaire bruxelloise fréquente les Ecoles européennes, ce qui reste minoritaire mais ce qui devient significatif.

Ces chiffres montrent qu’une dualisation ou même trialisation existe puisqu’un enfant sur cinq qui fréquente actuellement une école à Bruxelles bénéficie d’un encadrement et de moyens plus importants, ceux-ci étant supérieurs dans les écoles néerlandophones et européennes de Bruxelles.

1/ L’école est loin de corriger à la sortie les inégalités sociales avec lesquelles les enfants entrent dans l’école

Qu’il s’agisse d’égalité ou d’efficacité, l’enseignement dispensé en Communauté française se voit décerner des mauvais bulletins depuis plusieurs années.

- Dans les quartiers où le taux de chômage est plus important, on remarque une forte surreprésentation des jeunes dans l’enseignement technique et professionnel et une faible proportion des 18-25 ans dans l’enseignement supérieur. Ils sont moins de 15% à poursuivre une formation supérieure.

- La corrélation est forte entre le niveau du diplôme des parents et les retards scolaires des enfants. Les élèves de l’enseignement général sont, bien plus souvent que ceux de l’enseignement technique et professionnel, issus de familles au sein desquelles la mère a fait des études supérieures. Ainsi une étude portant sur 300 élèves montre que plus de 80% des mères ont un niveau d’études supérieures contre 4,5% dans l’enseignement technique et professionnel. A peu près 10% des élèves de l’enseignement général ont un père ouvrier, alors que c’est le cas pour 35,8% des élèves de l’enseignement technique et professionnel.

- Il existe une proportion anormalement forte d’enfants dont la langue maternelle n’est pas le français dans l’enseignement spécial.

- La Communauté française fait partie des systèmes les plus ségrégatifs puisqu’il faudrait changer d’établissements près de 60% des élèves de plus de 15 ans les plus faibles pour que ceux-ci soient répartis plus équitablement dans l’ensemble des écoles. Cette caractéristique est renforcée à Bruxelles. Cette concentration dans les écoles d’élèves défavorisés s’accompagne d’une concentration d’enseignants les plus jeunes et au statut plus précaire.

2/ La situation est à tout point pire en Région bruxelloise que dans les deux autres Régions

- 19, 2% des 18-24 ans (26% des 25-34 ans) ont quitté prématurément l’école, n’ont pas suivi de formation et ont au maximum un diplôme de l’enseignement secondaire inférieur contre 12,6% en Flandre, 16,3% en Wallonie.

- 26% des 25-34 ans ont au maximum un diplôme de l’enseignement secondaire inférieur. Ils sont 20% en Flandre et 24% en Wallonie.

- La tendance à la surreprésentation des élèves d’origine étrangère dans l’enseignement technique et professionnel, établie de longue date, se vérifie dans les différentes études puisque 80% des parents de ces élèves sont d’origine étrangère. Les cartes réalisées par Kesteloot et Slegers montrent qu’il y a une forte représentation de l’enseignement professionnel, technique et artistique dans la ceinture du 19ème siècle, le long de la zone du canal et dans des quartiers d’habitations sociales. C’est aussi dans ces quartiers que le niveau d’instruction est plus faible : plus d’1/4 ou plus d’1/5 de la population ne dispose que d’un diplôme de l’enseignement primaire.

- 25% des élèves de l’enseignement en Communauté française à Bruxelles ont au moins une année de retard en 6ème primaire. Ils sont 19% en Wallonie et 11% en Flandre. Le taux moyen de redoublants, toutes années confondues dans l’enseignement secondaire francophone à Bruxelles est de 16,73% par rapport à 13,35% pour la Communauté française.

- A Bruxelles, le phénomène de ghettoïsation est particulièrement marqué. La situation de concurrence entre écoles, nombreuses, est paroxystique : concurrence au sein d’un même réseau, entre les réseaux, entre communes, au sein d’une même Communauté, entre enseignement francophone, d’une part, et néerlandophone et européen, d’autre part, qui attirent une minorité privilégiée avec des moyens budgétaires et d’encadrement systématiquement plus importants que ceux disponibles dans l’enseignement francophone.

3/ Les inégalités sociales à Bruxelles

- Plus de 52.000 enfants vivent dans un ménage sans emploi rémunéré, ce qui représente 27% des enfants avec d’énormes écarts entre les communes (46% à Saint-Josse, 12% à Woluwé-Saint-Pierre). Ils sont 8% en Flandre et 18% en Wallonie.

- Plus de 16.000 jeunes (17,8%) des 18-25 ans, sont bénéficiaires d’une allocation de chômage ou d’un revenu d’intégration.

- 28% des Bruxellois vivent dans la pauvreté contre 8% en Wallonie et 6% en Flandre. Ce pourcentage cache lui-même des disparités spectaculaires entre communes et quartiers.

- Une proportion plus élevée que dans les autres Régions de ménages d’une personne mais aussi de plus de 6 personnes.

- 45,8% des nouveau-nés bruxellois ont une mère qui n’est pas de nationalité belge. On parle bien ici de nationalité et non d’origine, ce qui signifie que le nombre d’enfants d’origine étrangère est encore bien plus important.

- Bruxelles compte un quart d’élèves de nationalité étrangère (157 nationalités) dont un pourcentage important parle à la maison une autre langue que la langue dans laquelle l’enseignement est dispensé. Ce chiffre est sous évalué puisqu’il n’intègre pas les nombreux enfants naturalisés. Or, on sait que la mauvaise maîtrise d’une des langues nationales a souvent un impact sur le parcours scolaire.

- Les familles monoparentales représentent un peu plus de 10%.

4/ La Région bruxelloise souffre du taux de chômage le plus important du pays

Un taux de chômage qui s’explique principalement par le manque de qualification des demandeurs d’emploi et de maîtrise des langues (90% des demandeurs d’emploi sont unilingues (langues nationales !!!, mais très souvent plurilingues en dehors des langues nationales, ce qui n’est que très rarement valorisé) alors que 95% des offres d’emplois exigent une connaissance d’une deuxième langue nationale :

- Sur un total de 94 075 DEI, 18 827 ont moins de 25 ans

- 49% des jeunes bruxellois au chômage ont au maximum un diplôme du secondaire inférieur et ne suivent plus de formation. 4,9% ont un diplôme universitaire.

Ici encore apparaît une forte différentiation géographique à l’intérieur de la Région. Le taux de chômage est particulièrement élevé dans le croissant pauvre de la Région qui est aussi caractérisé par le faible niveau de qualification de sa population. Mais il faut relever que, à niveau de qualification équivalent, le taux de chômage de la population du croissant pauvre est systématiquement supérieur. A titre d’exemple, le taux de chômage des détenteurs d’un diplôme du secondaire supérieur professionnel est de 26% dans la Région, mais de plus de 40% dans le croissant pauvre.

Les indicateurs chiffrés ci-dessus montrent que la situation en Région bruxelloise est plus qu’inquiétante. Tous les indicateurs montrent en effet que Bruxelles est dans le rouge par rapport aux deux autres régions et que de nombreux jeunes sont confrontés à des difficultés. Ceci ne veut pour autant pas dire que certaines sous-régions wallonnes ne connaissent pas des réalités analogues.
Cela dit, Bruxelles connaît une double spécificité : un multilinguisme (hors langues nationales, accompagné d’une maîtrise insuffisante d’une des langues nationales) à l’entrée de l’école et des exigences de multilinguisme (dans les langues nationales) à la sortie de l’école plus importantes qu’ailleurs.

D’autre part, si le constat de la reproduction des inégalités n’est pas neuf, tout semble indiquer que les mécanismes mis en place n’ont toujours pas réussi à combler le fossé, même si certains d’entre eux ont tenté et réussi partiellement, tels le recentrage des discriminations positives sur des critères objectifs (2002) et la différenciation du financement des subventions de fonctionnement des écoles (10% des budgets consacrés à l’enseignement, le solde étant constitué de l’encadrement) sur base des efforts d’hétérogénéisation (2003).
Au vu de ces éléments chiffrés, l’origine sociale, définie par le niveau de diplôme de la mère, semble rester un facteur structurellement déterminant dans l’orientation des élèves de sorte que le cycle « pauvreté > école moins bonne > qualification moins bonne > pas d’emploi > pauvreté > … » reste très solide.

5/ Faire tomber le « mur de Berlin social de l’enseignement »

Tous ces chiffres viennent appuyer objectivement un constat que chacun de nous était en droit de se faire depuis plusieurs années maintenant. On parle souvent de la division de l’école par réseaux, mais il existe pour les enfants une division bien plus cruelle entre écoles « normales » – et qui doivent continuer à bénéficier des moyens actuels et à dispenser un enseignement de qualité – où on peut espérer recevoir un enseignement de qualité acceptable et les autres écoles où on laisse un corps enseignant se dépatouiller avec des élèves cumulant dès le départ plusieurs « handicaps sociaux ». Il s’agit là d’un véritable « mur de Berlin social de l’enseignement » quasi infranchissable et à propos duquel on peut dire, avec beaucoup d’humilité, que la plupart des instruments mis en œuvre par les pouvoirs publics n’ont jamais véritablement réussi à abattre.

Pourtant, tout le monde s’accorde à le dire : l’organisation de l’enseignement et de la formation est une question majeure. Elle concerne chacun d’entre nous à un moment ou à un autre de notre vie et détermine en partie les conditions dans lesquelles nous nous intégrerons dans la société et dans le monde du travail. Mais force est de constater que sur le terrain, l’école rencontre de plus en plus de difficultés pour assurer ses missions au sein d’une société marquée par la montée des inégalités, de la fracture sociale, de l’irrespect et de la violence.

Nous devons aider l’école à jouer pleinement le rôle qui est le sien et à remplir ses missions d’émancipation et de justice sociale. ECOLO a été le moteur du combat pour le refinancement de l’école dans les années 90 avec des résultats concrets mais hélas insuffisants en 2001. Avec les enseignants, les directions, les jeunes, les parents et tous les autres acteurs qui s’occupent de près ou de loin de formation ou d’enseignement, ECOLO doit redevenir le moteur du combat pour une école émancipatrice et remettre l’école au cœur du débat public.

C’est la responsabilité qu’ECOLOBXL prendra dans les mois qui viennent. Sans tabous et sans a priori institutionnel en partant du point de vue des acteurs de terrain et non des institutions.

Le thème de l’éducation fera l’objet d’un travail réunissant membres et non membres à ECOLOBXL dès le mois d’octobre et associera des acteurs francophones et néerlandophones actifs dans le domaine.

6/ Sept chantiers « enseignement » prioritaires à lancer à Bruxelles

Chantier n°1 – Combattre l’inégalité liée à la maîtrise insuffisante au départ de la langue de l’enseignement
Chantier n°2 – Rendre à l’enseignement technique et professionnel la place qu’il mérite et lui permettre de remplir son rôle face aux attentes de la société
Chantier n°3 – Définir, en revisitant à la fois la notion de discriminations positives et les mécanismes d’inscription à l’école, une nouvelle politique de lutte contre la dualisation des écoles et des étudiants
Chantier n°4 – Redéfinir la pédagogie d’apprentissage des langues nationales (bilinguisme) et la valorisation des langues d’origine (multilinguisme)
Chantier n°5 – Mettre en place un plan de rénovation (écologique) des bâtiments
Chantier n°6 – Une école sans violence, sans racisme ni sexisme
Chantier n°7 – Mieux impliquer (tous) les parents dans l’école, y compris avec la collaboration des mouvements d’éducation permanente et les associations