Il y a deux jours, le comédien Dieudonné Kabongo décédait sur scène. Ce départ inopiné m’a profondément attristé. Par le biais de mon blog, je souhaite  lui rendre un dernier hommage et adresser un message de condoléances à  ses proches.

Dieudonné Kabongo était un artiste entier et multiple. A la fois humoriste, comédien, musicien, il brillait tant par ses qualités artistiques que par ses qualités humaines indéniables. Avec humour et un brin de facétie, il parvenait toujours à nous émouvoir et à nous ouvrir les yeux sur les autres.  Profondément attaché à l’Afrique, il n’en était pas moins très impliqué dans la vie culturelle belge francophone.

J’ai pu m’en rendre compte notamment en 2007,  lors d’un colloque que j’ai organisé  avec Ecolo et Groen! au Parlement bruxellois autour du thème « La culture à Bruxelles… »

Je reproduis  ici son intervention lors de cette rencontre. Une intervention à son image:

Je me sens comme un Président de la République…

Rassurez vous, ceci n’est qu’une fiction, basée sur des faits réels. Et les faits réels, c’est quoi ?

Je pars de mon enfance. Je me vois dans cette cour de récréation. Je vois deux Saint Nicolas. C’était mon premier traumatisme. Je n’ai pas compris pourquoi il y en avait deux. Il y en avait un francophone, un néerlandophone. J’aurais voulu vivre avec ces rêves d’enfance : Saint Nicolas est un Monsieur très gentil, barbu, qui vient de très loin et qui apporte des cadeaux.

Je me présente. J’ai un nom très compliqué à mettre sur une carte d’identité. Je me suis donc contenté de Dieudonné Kabongo. Mais mon nom raconte une histoire. Chez nous, le nom de famille permet de savoir de quelle famille on est, d’où on vient. Nous sommes vingt et un dans ma famille, tous avec des noms différents. Et je les connais tous, car tous racontent une histoire.

Et je viens de ce pays ou j’ai cru à un moment que « pas op » était du swahili. J’ai toujours grandi avec ce mot, qui veut dire « attention ». Et quand je suis arrivé en Belgique – c’était mon deuxième traumatisme – moi qui croyais que c’était un vrai mot swahili, j’ai compris qu’il était emprunté de ceux que nos parents appelaient les flamands. On appelait les colonisateurs ainsi. Les swahiliphones avaient adopté ce mot.

Rassurez-vous, ceci n’est qu’une fiction…basée sur des faits réels.

Dans le monde, il y a deux sortes de peuples : ceux qui découvrent, et ceux que l’on découvre. Moi je viens d’un peuple qui a été découvert. Et ce n’est pas facile quand on n’a pas encore été découvert. C’est frustrant. Vous attendez. Alors moi quand j’étais petit, j’ai demandé à papa « Pourquoi c’est pas nous qui allons à la découverte des autres ? ». Il m’a dit « C’est pas le principe. Nous devons rester fixes, c’est ceux qui découvrent qui bougent. Nous, nous devons rester là. Parce que si nous nous bougeons, et qu’entre-temps ils arrivent… ». Nous ne serions jamais dans aucun Atlas.

Vous savez, les noirs, c’est comme le passage clouté. On le construit en ne peignant que les bandes blanches. C’est quand on a fini de peindre les bandes blanches que les noires apparaissent. Pourtant les noires étaient déjà là avant… C’est comme si elles n’existaient pas.

Alors j’ai dit à papa, « Comme on n’existe pas, qui sommes-nous ? ». Il a répondu « Ca dépendra de ceux qui viennent nous découvrir. S’ils viennent du Nord c’est que nous sommes du Sud »…

Pour aller plus loin dans la fiction, on s’attendait à être découverts par des Espagnols, des Français, des Belges. Et non, on a été découvert par des Anthropologues. Et les Anthropologues, il leur faut des coutumes. Et on n’en avait pas. Alors on s’est dit « Il faut qu’on se crée des coutumes, sinon ils vont partir ». C’est ce qu’on a fait, du style on met un os dans le nez…

Moi, comme j’étais petit et n’avais de trou ni dans le nez ni dans l’oreille, j’ai mis l’os là où je pouvais… De profil ça donnait quelque chose de bien. Je m’étais mis l’os dans la bouche. Les Anthropologues ont noté « rite de passage », le passage de l’enfant de l’étape inarticulée à l’étape articulée. On a ainsi créé beaucoup de coutumes pour les Anthropologues. Ils les ont notées, et ça a amené beaucoup de touristes. Et nous, on était obligés de se comporter selon les écrits des Anthropologues pour être crédibles. Je passe les étapes…

Personnellement, j’étais assez content en voyant un espace à Bruxelles avec des échoppes, magasins, salons de coiffure, appelé Matonge. Vous savez, Matonge est le plus petit quartier de Kinshasa. Tous le monde y venait pour acheter un fruit : le litonge quand il y en a un, ou matonge, quand il y en a plusieurs. Un fruit succulent et rafraîchissant. Le quartier au départ s’appelait le quartier des Matonge, c’est devenu Matonge.

Matonge est devenu le quartier le plus populaire de Kinshasa. Pourquoi ? Il y a tellement de gens qui venaient pour ce fruit-là que d’autres malins ont décidé d’ouvrir un petit bar, puis un autre un petit magasin. Il y a même eu un curé, Papa Raphaël, qui a construit le plus grand stade de football de Kinshasa.

Il y a eu la même logique du côté de Bruxelles. Avec l’agence de coopération et l’Ambassade pas loin, on se disait qu’il y avait beaucoup de chance de rencontrer quelqu’un qu’on connaît. Du coup, on a ouvert des petits bars, etc. Voilà comment le quartier s’est créé. Les gens ont dit « c’est comme Matonge », et le nom est resté. Ce qui me rend fier quelque part, c’est que quand je suis très loin de Bruxelles, et qu’on parle de Matonge, on oublie même celui de Kinshasa, on parle du quartier de Bruxelles…

Je suis content de tout ce que j’ai entendu aujourd’hui. Ne vous inquiétez pas pour ce mouvement, vous en avez déjà peut-être entendu parler. Il ne va pas nous ébranler ici à Bruxelles. C’est un mouvement qui demande d’attacher la Belgique au Congo. La Belgique deviendrait « congolisée », le Congo aurait aussi son Atomium, des Schtroumfs, un Magritte… La Belgique deviendrait un territoire congolais d’outre-mer.

On ne travaillerait plus la main dans le moignon, mais la main dans la main. Plus de problème linguistique, ce serait le lingala pour tout le monde. Le Flamand en lingaland, le Wallon en lingalon, et les Brusselaires en lingalaire. Et Kinshasa deviendrait la capitale de l’Europe.

La Belgique va gagner une place folle. Car quand la mer du Nord retournera jusqu’à Gand on va reloger tout ce beau monde. On aura de l’espace. Et puis finis les lisiers de porc, du « watermou » pour tout le monde, de la gazelle marinière pour tout le monde.

Le Congo sera rempli de centres culturels partout, partout des Immo Congo, des frères Dardenne qui viendront filmer dans les banlieues de Kinshasa avec des pauvres gars sur des vieilles mobylettes, dans un décor plein de palmiers. Annie Cordy viendra chanter « Tata Yoyo » pour les enfants soldats. Et les nouveaux Diables rouges ! La technicité reliée à l’émotion… Vous imaginez quand ils vont gagner ? La Grand Place sera noire de monde et ça, ça aura au moins un sens pour une fois. Ceci n’est qu’une fiction bien sûr. Et si vous prenez tout ce que je viens de vous dire et que vous le mélangez. Le résultat, je l’ignore…Est-ce que la réalité dépasse la fiction, ou l’inverse ?
Dieudonné Kabongo (1/2/2007)